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Tribune

14.04.2015 16:01 Il y a : 9 yrs

70 auteurs contre la tabelle


Quelque 70 auteurs belges francophones ont signé, dans La Libre Belgique de ce 14 avril, une tribune dénonçant la tabelle pratiquée par plusieurs distributeurs pour les livres publiés en France, qui fait que leurs livres sont vendus 15 % plus cher en Belgique qu'en France.

 

Le texte :

Acheteurs de livres en librairie, nous détachons parfois, tel un réflexe de mauvaise humeur, l’étiquette autocollante qui masque le prix d’origine de l’ouvrage édité en France pour constater ébahis qu’une marge de près de 15 % existe entre les deux prix. Ce problème n’est pas anodin. Les statistiques sont formelles : 70 % des livres francophones vendus en Belgique sont publiés en France. Pour la littérature, ce chiffre dépasse les 90 %.

Nous, auteurs belges dont certains publiés en France, nous ne comprenons pas pourquoi nos livres, comme tous ceux des écrivains du monde entier, se vendent plus cher à Bruxelles, Liège, Namur ou Charleroi qu’à Paris, Bordeaux, Toulouse, Strasbourg ou Marseille.

Cette majoration de prix porte un nom : la tabelle. Elle existe également en Suisse. Imaginée à l’origine par les distributeurs de livres pour couvrir les frais de douane et les risques de fluctuation du change entre les francs belge et français, cette tabelle a perdu toute raison d’être depuis la création du grand marché européen et la naissance en 2002 de la monnaie commune, l’euro.

Pourquoi dès lors cette tabelle s’est-elle maintenue en Belgique ? Deux distributeurs dominent le marché du livre francophone belge : Dilibel (Hachette) et Interforum (Editis). Ils vendent en exclusivité leurs livres, qui représentent plus de 60 % de ce marché. Et ce nombre pourrait bientôt se trouver augmenté par le rachat du distributeur Volumen (Le Seuil, Le Seuil jeunesse, La Martinière, Anne-Marie Metaillié, Arléa, Bourgois, Corti, Eres, Le Tripode, Minuit, l’Olivier, Sabine Wespieser, Tallandier, Viviane Hamy ou encore Zulma) par le groupe Editis. Deux distributeurs fixent donc le prix de vente en Belgique, justifiant la tabelle par la nécessité de supporter les coûts de leur structure en Wallonie.

Pas question pour un libraire belge de s’approvisionner en direct à Paris. Certains groupes tels Gallimard, Actes Sud ou Flammarion n’imposent fort heureusement pas cette distribution exclusive pour la Belgique, mais ils sont de moins en moins nombreux. Pour leurs ouvrages, le libraire peut passer commande directement auprès du distributeur français, évitant ainsi d’infliger à son client le surcoût de la tabelle. Un surcoût qui n’entre évidemment pas dans le calcul des droits des auteurs, fortement lésés dans l’opération. Un surcoût qui ne profite qu’à deux multinationales.

On en arrive ainsi à cet absurde paradoxe : un livre que nous avons écrit quelque part en Wallonie ou à Bruxelles se vend plus cher dans notre propre pays que dans toute ville française combien plus éloignée de Paris. Ainsi le lecteur bruxellois payera-t-il plus cher un livre d’un auteur belge alors qu’il est à moins d’une heure trente de Paris que le lecteur toulousain qui mettra six heures pour rejoindre la capitale. Le lecteur belge est ouvertement pénalisé, en toute impunité, en vertu d’une logique issue d’un autre temps. Pourquoi doit-il supporter cette charge supplémentaire qui profite à quelques intermédiaires ? La lecture n’est-elle pas suffisamment menacée par d’autres loisirs et médias, qu’il faille encore grever son accès ?

En outre, la Belgique est un des derniers pays européens à ne pas avoir adopté une loi réglementant le prix du livre, situation qui favorise le discount sauvage et les grandes surfaces alors que, pour l’essentiel, ce sont les libraires qui assurent la présence continue de nos livres sur leurs tables et dans leurs rayons.

Auteurs, nous savons que c’est grâce aux libraires que nos livres rencontrent les lecteurs. Sans cette médiation, ils ne trouveraient que le pâle écho de l’éther. C’est pour ces raisons que nous demandons que d’urgence soit abolie la tabelle. Pour que l’accès au livre soit libéré enfin d’une entrave insensée.

 

Les premiers signataires :

Barbara Abel, Nicolas Ancion, Paul Aron, Luc Baba, Jan Baetens, Isabelle Bary, Alain Berenboom, Véronique Bergen, Eric Brogniet, Geneviève Damas, Alain Dantinne, Jacques De Decker, Arnaud de la Croix, Alain Delaunois, Luc Dellisse, Patrick Delperdange, Laurent Demoulin, Laurent de Sutter, Xavier Deutsch, André-Joseph Dubois, Jacques Dubois, Michel Dufranne, Pascal Durand, François Emmanuel, Philippe Geluck, Michel Gheude, David Giannoni, Kenan Gorgun, Michèle Goslar, Thomas Gunzig, Pascale Fonteneau, Tanguy Habrand, Corinne Hoex, Eva Kavian, Jean-Marie Klinkenberg, Edgar Kosma, Françoise Lalande, Caroline Lamarche, Werner Lambersy, Michaël Lambert, Michel Lambert, Stéphane Lambert, Yun-Sun Limet, Karel Logist, Nicole Malinconi, Yves Namur, Joseph Ndwaniye, Adolphe Nysenholc, Colette Nys-Mazure, Jean-Pierre Orban, Jean-Luc Outers, Benoît Peeters, Jean-Marie Piemme, Pierre Piret, Marc Quaghebeur, Patrick Roegiers, Rossano Rosi, Frédéric Saenen, François Schuiten, Nathalie Skowronek, Virginie Thirion, Vincent Tholomé, Dick Tomasovic, Michel Torrekens, Jean-Philippe Toussaint, Carmelo Virone, Dominique Warfa, Antoine Wauters, Isabelle Wéry, Evelyne Wilwerth, Katia Lanero Zamora…